L'expression « arme de poing » a sa définition dans la loi, mais il n'existe pas de définition juridique des termes « fusil d'assaut » ou « arme d'assaut » au Canada.
12 décembre 2019
Toronto est en tête du palmarès des villes où sont commis le plus de crimes violents liés aux armes à feu au pays. Le gouvernement fédéral prépare un projet de loi afin de bannir les armes d’assaut, mais 60 % des armes saisies par la police en lien avec un crime à Toronto sont des armes de poing, pas d'assaut.
« Bien que les armes d’assaut représentent une grande dangerosité [...], elles ne sont pas aussi répandues que les armes de poing », confirme Francis Langlois, spécialiste de la culture des armes à feu et professeur d'histoire au Cégep de Trois-Rivières, au Québec.
Francis Langlois note que, bien que les armes dites d’assaut soient plus létales étant donné la façon dont elles sont fabriquées, il reste que dans de grandes villes comme Toronto ou Montréal, ces armes « difficiles à cacher et à obtenir » sont moins souvent utilisées dans les crimes que des armes de poing.
Le service de police de la Ville Reine a saisi un total de 831 armes utilisées dans les crimes en 2018 (comprenant des armes à feu, mais aussi des pistolets-jouets et des fusils à air comprimé).
De ces armes, 58,5 % étaient des pistolets, revolvers et pistolets de poche – qui tombent sous la définition d'armes de poing. Si l'on ajoute les fusils et carabines à canon scié – armes modifiées pour être manipulées à une main, c'est-à-dire aussi facilement qu'une arme de poing dans les faits – le pourcentage monte à 63,7 %.
Selon Statistique Canada, 57,4 % des homicides perpétrés avec une arme à feu dans tout le pays en 2018 ont été commis avec une arme de poing – un pourcentage qui augmente à 64,7 % si l'on inclut les fusils et les carabines à canon scié.
À noter que certaines armes automatiques ou semi-automatiques peuvent aussi être manipulées avec une main, selon le modèle.
Pas de définition légale des armes d'assaut
« Comme promis aux Canadiens lors de la dernière élection, nous allons interdire les armes d'assaut de type militaire », a indiqué le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile par écrit à Radio-Canada.
« Forts des conseils avisés du Programme canadien des armes à feu, nous fournirons plus de détails en temps voulu. » Le ministre de la Sécurité publique, Bill Blair, dit être en train d’élaborer une liste d'armes qui seront prohibées.
Mais alors que l'expression arme de poing a sa propre définition dans la loi canadienne, il n'existe pas de définition juridique des termes « fusil d'assaut » ou « arme d'assaut » au Canada. « Par conséquent, le PCAF [Programme canadien des armes à feu, NDLR] ne maintient aucun de ces deux termes comme catégorie de classification pour la saisie et la communication de statistiques sur les armes à feu », selon la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Il est ainsi difficile de déterminer le réel impact des armes d'assaut de type militaire dans les crimes commis à l'échelle du Canada à l’heure actuelle.
« Ce qui sert dans certains crimes aux États-Unis – on ne l’a pas trop vu au Canada encore – ce sont des armes dites d'assaut, militaires. Comment le définir au Canada? Il faudra trouver la définition idéale avant de penser à les bannir », estime François Doré, ancien policier à la Sûreté du Québec.
Approche locale d'un problème national
Quant aux armes de poing, le gouvernement souhaite laisser aux municipalités le soin de les réglementer.
« Nous comprenons que chaque ville et chaque province a des besoins et des préoccupations spécifiques, et notre plan est de travailler avec les provinces et les municipalités en les autorisant à adopter des exigences supplémentaires pour restreindre l'entreposage et l'utilisation des armes de poing sur leur territoire », a répondu le gouvernement fédéral par écrit à Radio-Canada.
Cela changerait-il quelque chose au trafic des armes à feu?
« Absolument pas », répond l'ancien policier François Doré. « Ce ne sera pas très efficace de le faire de cette façon-là », renchérit le professeur Francis Langlois.
Même son de cloche à l’hôtel de ville de Toronto. La conseillère municipale Kristyn Wong-Tam croit qu’une « interdiction nationale des armes de poing » est nécessaire.
« J’ai l’impression que le gouvernement libéral veut ménager la chèvre et le chou dans la mesure où il applique une espèce de fédéralisme asymétrique », pense Francis Langlois.
« En laissant aux villes le soin de réglementer, [le gouvernement] se dit peut-être que [...] dans l’Ouest par exemple, où les gens sont plus ouverts à la possession d’armes à feu et potentiellement d’armes de poing ''on réglementera de la façon dont on l’entend et dans l’Est et au centre du Canada, on pourra réglementer de façon plus stricte''. »
Francis Langlois, qui est également membre associé à l'Observatoire des États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, souligne que les interdictions locales ont déjà été essayées sans vraiment fonctionner : il n’y a qu’à regarder chez nos voisins du Sud.
« Par exemple, ils ont interdit la vente d'armes à feu et le port d'armes et toutes sortes de choses sur le territoire de Chicago, mais d'immenses magasins se sont installés en périphérie de la ville. Et on le voit dans les études qui traitent des armes retrouvées sur les lieux de crimes, ces armes viennent beaucoup de la périphérie. » - Francis Langlois, professeur en histoire au cégep des Trois-Rivières
Il y a bien sûr des différences avec les États-Unis. Les armes sont mieux régulées au Canada qu’aux États-Unis, ce qui explique en partie le taux moindre d’homicides – et de suicides – par arme à feu au Canada en comparaison.
Toronto demande au fédéral d'interdire les armes de poing
Lors de la réunion du conseil municipal du 26 novembre, la motion HL11.1 a été adoptée. Elle exhorte le gouvernement fédéral à bannir les armes de poing au pays, et demande à la province d'interdire la vente de munitions à Toronto et de renforcer la législation sur la vente d'armes à feu.
En effet, les conseillers eux-mêmes ne croient pas en une interdiction municipale comme le propose le gouvernement fédéral.
« De ce que je comprends, beaucoup d’armes de poing sont déjà illégales et interdites, et sont importées dans notre ville pour commettre ces crimes. Que faisons-nous à ce propos? Je n’en sais rien. » - Josh Matlow, conseiller municipal de Toronto-St.Paul's
Kristyn Wong-Tam, conseillère municipale de Toronto-Centre, renchérit : « Quand on pense au fait qu’on ne peut déjà pas réglementer le bruit dans la ville de Toronto, il n’y a aucune chance pour que nos agents chargés de l'application des lois puissent réglementer les armes de poing. »
« Nous devons mieux comprendre ce problème et donner un cadre à cette discussion », a pour sa part déclaré Michael Thompson, le conseiller de Scarborough-Centre, « car honnêtement, cela fait 17 ans que je suis ici et 17 ans plus tard, on pose encore les mêmes questions et on parle toujours du même problème ».
Une facilité d’accès
Un des éléments problématiques, selon François Doré, est la facilité avec laquelle ces armes-là peuvent être acquises partout au Canada, qu'elles viennent de l'intérieur du pays ou des États-Unis.
Selon la GRC (Gendarmerie royale du Canada), « le Programme canadien des armes à feu (PCAF) ne recueille ni ne suit de statistiques sur l'origine des armes à feu illégales ou volées ». Seuls les services de police concernés le font.
« Les processus et/ou les politiques peuvent différer d'un service à l'autre, de même que les exigences en matière de déclarations », précise la caporale Caroline Duval, de la GRC.
Limiter la prolifération d’armes « prend de la réglementation, oui, mais ça prend des services policiers qui sont efficaces, qui vont pouvoir saisir ces armes-là », dit François Doré.
Dans une réponse écrite à Radio-Canada, le bureau du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile rappelle les investissements réalisés par le gouvernement pour lutter contre la violence armée.
« Nous avons investi 86 millions de dollars dans l'ASFC [Agence des services frontaliers du Canada] et la GRC pour lutter contre le trafic d'armes à feu et 65 millions de dollars en Ontario pour des initiatives visant à prévenir et à combattre la violence armée et les gangs. » - Le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile
L’achat d’armes par le biais de personnes avec un casier vierge qui les revendent sur le marché noir semble en tout cas prendre de l'ampleur.
Justin Green, un ancien étudiant en philosophie à l'Université de Toronto, a acheté légalement 23 armes de poing sur une période de 22 mois à compter de 2011, dont 15 d'un seul endroit, puis les a revendues illégalement.
La même année, Andrew Winchester a acheté 47 armes de poing dans la région de Toronto au cours d'une période de six mois et les a vendues sur le marché noir pour un montant pouvant atteindre 100 000 $.
Wes Winkel, propriétaire du magasin d'articles de sport Ellwood Epps à Severn, en Ontario, indique que les détaillants tiennent déjà des registres de vente depuis des années, mais que les autorités n'utilisent pas efficacement cette information pour repérer rapidement les acheteurs frauduleux. « Pour une raison quelconque, le temps qu'il faut aux forces de l'ordre pour identifier un acheteur agissant en tant que prête-nom est trop long. »
Jusqu'au 9 décembre de cette année, il y a eu 458 fusillades à Toronto, soit 20 % de plus que l'an dernier.
Avec des informations de Mia Sheldon et Matthew Amha.
Cet article a été publié sur CBC/Radio-Canada.